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BTS > Français > Préparation à la synthèse > 5. Analyser un corpus  Vers la fin du monde mondialisé ?

Objectifs : 

- Préparer à la construction d'une synthèse en groupe

- Identifier les enjeux d'un corpus

- Analyser un sujet de société

Public visé : BTS première et deuxième année

Activités proposées :

Analyse de texte par groupe

Restitutionorale
Construction d'une synthèse à partir d'un corpus


 

Corpus réalisé en partie à partir des Articles du numéro de "Le Un", N°136

04 janvier 2017

I. LES ENJEUX DU CORPUS : 

 

Vers la fin du monde mondialisé ? (Sommaire du 1 n°136 04 janvier 2017)

Chômage et délocalisation, dérégulation financière, attentats et flux migratoires… Ces phénomènes se combinent pour engendrer un fort retour de la demande de souveraineté, de frontières et de tarifs douaniers. Théorisée par Walden Bello, un économiste philippin engagé à gauche, la démondialisation fait aujourd’hui le tour du spectre politique. Quelles réalités et quelles aspirations se cachent derrière ce concept ?

 

Aide : Qu'est-ce que la mondialisation ?

Complément 1 :  Définir la mondialisation. Animation

cartographique de Nicolas Arnaud et Laurent Garbin, 2008

Complément 2 :  Définir la mondialisation. Animation

cartographique de Nicolas Arnaud et Laurent Garbin, 2010

Complément 3 :  Définir les acteurs de la mondialisation. Animation cartographique , 2008

Complément 4 :  Discours du Président chinois Xi Jinping au Forum de Davos, janvier 2017

Complément 4 :  Chronique de France -info,

septembre  2016

Qu'est-ce que la démondialisation ?

source ; http://www.toupie.org

 

Etymologie : mot composé du préfixe de cessation dé- et de mondialisation, issu du latin mundus, univers.
La démondialisation est le fait de démondialiser, c'est-à-dire de faire perdre son caractère mondialisé à quelque chose.

L'origine du mot "démondialisation" est attribuée à Walden Bello, sociologue philippin qui a publié en 2002 un livre intitulé "Deglobalization, ideas for a New World Economy". Le mot y est utilisé pour dénoncer les pouvoirs exorbitants des institutions internationales comme le FMI ou l'OMC avec une critique ferme du libre-échange et de la dérèglementation financière et pour prôner un modèle alternatif.

 

Généralement, le concept de démondialisation renvoie à des actions politiques, économiques ou financières mises en oeuvre pour réduire les effets néfastes du libre-échange et du néolibéralisme et de ramener l'économie à une échelle plus locale, sans toutefois mettre fin au commerce mondial, ni vivre en autarcie. Il prend le contre-pied de l'affirmation selon laquelle "la mondialisation est incontournable".
Synonyme : déglobalisation.

Le mot renvoie également aux phénomènes liés à la démondialisation comme les "relocalisations", la fermeture des frontières, le retour au protectionisme économique etc.

II. LE CORPUS ET SON EXPLOITATION : 

Consignes :

1. Chaque groupe analysera et fera la synthèse du texte dont il a la charge en présentant successivement :

La nature du document / Les principales idées et arguments du texte / Le point de vue défendu par le document (résumer en une phrase l'idée directrice du texte). Complétez la fiche élève.

2. Présentez le résultat de vos recherches à la classe.

 

Texte 1 : le 1 n°136 04 janvier 2017

IL N’Y AURA PLUS QUE DES SIMPLETS AU POUVOIR

Auteur : Erik Orsenna, écrivain

Membre de l’Académie française et du Haut Conseil de la francophonie, il est l’auteur, entre autres, de L’Exposition coloniale (Seuil, 1988), qui lui a valu le prix Goncourt, et de L’Origine de nos amours (Stock, 2016). Docteur en économie, ancien conseiller culturel du président François Mitterrand, il a publié un Petit précis de mondialisation qui compte trois volumes : Voyage aux pays du coton (Fayard, 2006), L’Avenir de l’eau(Fayard, 2008) et Sur la route du papier (Stock, 2012).

 

Démondialisation. Ce mot me fait immédiatement penser au refus de savoir. On pense qu’avant – avant la mondialisation –, c’était mieux. On pense qu’avant c’était simple. On pense qu’avant on avait la maîtrise. Avant la mondialisation, dans un temps non ou dé-mondialisé, c’était donc mieux, simple et maîtrisé ? Bien sûr que non. Ce n’était pas mieux car beaucoup perdaient. Ce n’était pas si local mais au contraire très imbriqué avec les routes multiples du capitalisme. Amsterdam, Gênes, Venise. Quant à la maîtrise, quelle illusion ! La critique de la mondialisation est du même ordre que la préférence pour les jardins ou pour les chiens plutôt que pour les êtres humains. Avec les jardins et les chiens, on croit qu’on peut maîtriser. Rien n’est moins sûr. On ne maîtrise pas avec des murs mais avec des projets. 

 

Bien sûr, il y a des folies et des faiblesses.

L’exemple le plus extraordinaire de folie, ce sont ces producteurs de noix du Languedoc qui font ouvrir leurs noix en Tchéquie. On ne prend pas tout en compte dans le mécanisme de formation du prix. Sinon, on verrait bien que c’est absurde, ne serait-ce qu’à cause de l’empreinte carbone laissée par les allers-retours de la marchandise.

Autre folie : comment a-t-on pu créer en Europe un espace dit unique alors qu’on permet la course à l’optimisation fiscale ? Pourquoi le Luxembourg est-il le pays le plus riche de l’Europe ? Les Luxembourgeois seraient les plus inventifs ? Les tensions de la mondialisation se retrouvent à l’intérieur de l’Europe. Ses travers – qui gagne et qui perd ? – sont dans l’Europe. Comment accepter de telles distorsions de concurrence à l’intérieur de l’Union ? Pour les pépinières d’entreprises, l’Allemagne continue de bénéficier de dérogations qui creusent les écarts de salaires : 13 euros l’heure en France, 7 euros l’heure outre-Rhin. Résultat : nos pépinières sont en grand péril. Avant de « démondialiser », réglons les problèmes au sein de l’Europe. On regarde au loin pour ne pas faire le ménage chez soi. À espace unique, règles du jeu communes ! Quand on joue au foot, a-t-on le droit de mettre les mains ou pas ? En Europe, certaines équipes ont le droit de mettre les mains, les autres jouent seulement avec le pied.

 

Quant aux faiblesses, elles concernent notre incapacité, à nous Français, et surtout à nous Européens, à savoir mieux négocier. C’est une guerre. On doit donc se battre. Il est hors de question d’accepter le dumping chinois. J’ai le souvenir des pressions de la mondialisation sur le cinéma. Au début dses années 1980, la question était déjà brûlante. Les représentants du cinéma américain demandaient à Paris d’arrêter de subventionner le cinéma français. Ils voulaient sa mort. C’était bien sûr inacceptable.

À mes yeux, le mot démondialisation est le résumé du non-dit. Il traduit une vision ancienne des modes de production.Pourquoi cette tentation aujourd’hui ? J’y vois du déni et de la paresse face à la mondialisation. Déni des gens qui perdent. Paresse d’aller voir ce qu’on gagne. On veut du simple, même si c’est faux. On préfère ce qui est faux à ce qui est complexe. Le complexe, on ne veut pas le comprendre. Les politiques veulent simplifier car on vote pour le simple. Ne parlons pas de populisme mais de simplisme. Bientôt, il n’y aura plus que des simplets au pouvoir. Parmi les nains, ce n’est pas Simplet que j’aurais choisi pour diriger…

 

Le réel est têtu. Quand on ferme, ça ne marche pas. Très peu de pays ont voulu sortir du monde. Les grands ne peuvent pas. Qui croirait qu’on peut être seulement français ? La question posée est celle de l’espace. Quelle est la taille du camp retranché ? Astérix dans son village d’Armorique ? Le village va-t-il jusqu’à la France ? Jusqu’à l’Europe ? Notre drame, c’est le manque d’Europe. 

« Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde », écrivait Camus. La connaissance va calmer les folies. La revendication légitime consiste à localiser les lieux de production. Si on dispose de cet élément de traçabilité, les circuits de distribution vont très logiquement se raccourcir. Que je mange des pommes chinoises en Bretagne et en Normandie, cela me choque. Elles sont moins chères ? ça dépend de ce qu’on met dans le prix ! Le moins-disant, c’est le moins-racontant. Plus on raconte, plus on va vers la vérité. 

 

Je crois que nous allons vers le raccourcissement. La prise de conscience dans le domaine de l’environnement a eu lieu. On est obligé. Et on est plus intelligent quand on est obligé. Voyez les conséquences des alertes rouges à la pollution maximum à Pékin. Désormais, plus aucun fonds d’investissement de long terme ne s’oriente vers le charbon. Ce serait une position intenable. La prise de conscience est là, dans l’entreprise. C’est la demande et c’est le business. C’est aussi un apport d’Internet. Les gens veulent que les produits racontent leur histoire. Qu’on ne soit plus dans l’opacité. 

Alors, démondialisation ? L’eau dit la vérité. Elle n’est pas transportable. Elle pose la bonne question pour savoir quel est l’espace pertinent de collaboration. Réponse : le bassin. La solution est dictée par la géographie. La gestion commune du fleuve Sénégal est nécessaire. Qui peut penser que le Sénégal peut être seul à gérer son fleuve, sans le Mali, la Guinée et la Mauritanie ? Seuls des populistes diront : cessons de négocier avec la Mauritanie. Je crois plutôt qu’on assiste à un retour de la géographie. La mondialisation, c’est tuer la géographie, c’est l’homogénéiser. Bienvenue au divers plutôt qu’à la démondialisation. 

 

Erik Orsenna, écrivain

Conversation avec ÉRIC FOTTORINO

 

Texte 2 : le 1 n°136 04 janvier 2017

« UN MONDE DÉMONDIALISÉ, C’EST UN MONDE EN GUERRE »

Le grand entretien

avec Michel Foucher, géographe

Géographe, ancien ambassadeur, fondateur de l’Observatoire européen de géopolitique, Michel Foucher est un expert des frontières et des cartes. Il a notamment publié un Atlas de l’influence française au XXIe siècle (2013). Il est le conseiller géopolitique du 1.

 

À quand feriez-vous remonter la première mondialisation ?

Il n’y a mondialisation qu’à partir du moment où un État étend son influence sur 360 degrés. (...) La première mondialisation arrive précisément à la fin du xve siècle, durant la période des années 1492-1520, qui est la période des grandes découvertes. (...)

 

Après la période des grandes conquêtes, quelles sont les étapes suivantes ?

Une deuxième mondialisation dominée par les Britanniques débute au xixe siècle, avec de nouveaux moyens techniques. On passe de la caravelle et de la boussole – l’ère de la circumnavigation – à la navigation à vapeur à partir de 1850. La navigation devient beaucoup plus précise grâce à la cartographie d’une partie des fonds marins. À cela s’ajoute le télégraphe électrique entre Paris et Londres – les deux principales Bourses – en 1852. Jusqu’en 1914, l’économie sera extrêmement ouverte. La France est alors le premier client de l’Allemagne, et réciproquement.

 

Comment définissez-vous la troisième mondialisation ? 

C’est une mondialisation américaine dont je situe le début entre 1978 et 1991. Retenons quelques étapes fondamentales. D’abord, le voyage du dirigeant chinois Deng Xiaoping aux États-Unis, en 1978, au cours duquel on le voit partout arborer un chapeau texan. Il a tout compris. Son pays adopte l’économie de marché – à la mode chinoise, sans ouverture politique. Ensuite, dans les années 1980, Ronald Reagan et Margaret Thatcher dérégulent le marché puis, après l’échec des formules politiques hors monde, le marché englobe les anciens espaces soviétiques. C’est l’ère de l’extension du domaine du marché. Enfin, l’OMC fixe des règles de sécurité juridique pour le commerce international.

 

Quels sont les principaux outils de cette nouvelle mondialisation ? 

Je citerai l’Internet et les conteneurs. L’Internet irrigue le monde entier grâce aux satellites et à un réseau de fibres optiques sans précédent. On compte actuellement 321 câbles sous-marins reliant entre eux tous les continents. Les principaux axes sont Londres-New York, Los Angeles-Tokyo, Marseille-Alexandrie, la route des Indes, le grand tour de l’Afrique. Soit un million de kilomètres de câbles sous-marins. La révolution du conteneur, dans les années 1990, a permis aux coûts de transport de baisser continûment. 

La mondialisation aujourd’hui nous fait vivre dans un monde connecté ; c’est un processus constant d’interconnexions. Avec des lieux où se trouvent des donneurs d’ordres et des lieux d’exécution ; des centres et des périphéries…

 

Mais ne sommes-nous pas entrés dans un cycle de démondialisation ?

La « démondialisation » qui s’amorce est en réalité une désoccidentalisation de la mondialisation. La seule force capable de mener cette offensive, c’est la Chine qui utilise les techniques de l’économie libérale. Il n’y a donc pas de démondialisation au sens propre. Nous assistons à la perte du monopole occidental de la mondialisation. D’où ce sentiment de malaise en Occident, le sentiment d’un déclin parce qu’on ne maîtrise plus tout. Le monde dans lequel nous vivons ne correspond plus au monde tel que nous l’avons étudié dans nos livres de géographie. Les Chinois font mieux que nous avec nos outils !

 

Comment procède la Chine ?

Elle raisonne sur le long terme en se fixant des échéances. Les Chinois sont les seuls à avoir une vision et à utiliser tous les moyens de la mondialisation pour s’imposer. Pékin le prouve en créant de nouvelles institutions comme la Banque d’investissement dans les infrastructures de Shanghai. Ce n’est pas pour rien que l’on peut redouter un choc entre Donald Trump et la Chine. C’est inscrit dans l’histoire. Une puissance ascendante veut sa place au soleil. Un quatrième cycle de mondialisation est en train de s’ouvrir, multipolaire. La Chine en devient, avec nos moyens, le grand acteur et s’affirme comme un prescripteur, un producteur de normes. C’est ce que j’appelle une grande émancipation – au même titre que la décolonisation. La Chine est en train de briser le monopole américano-occidental sur le monde.

(...)

Quelles sont les raisons de la demande d’une démondialisation ?

Le chômage, la dérégulation et ses conséquences, les attentats et surtout les images diffusées des attentats, les flux migratoires produisent un retour de la demande de souveraineté. Le terrorisme débouche sur un besoin de protection, ce que j’ai appelé le retour des frontières. Cette exigence de plus d’État est patente en Europe et aux États-Unis. C’est une réponse face aux différents excès constatés depuis 2008.

(...)

Peut-on réellement assister à un retour en arrière de la mondialisation ?

Oui, pour au moins deux raisons. D’abord, les périodes de guerre sont propices à ces retours en arrière. 1914 en est l’illustration. Un monde démondialisé, c’est un monde en guerre. Je le dis en référence à François Mitterrand qui avait exprimé sa conviction en 1995, dans son dernier discours au Parlement européen de Strasbourg : « Le nationalisme, c’est la guerre. » Des coups d’arrêt à la mondialisation sont ainsi prévisibles. Il y aura des frictions entre les États-Unis et la Chine. Les Américains imposeront des droits de douane aux produits chinois. Il peut y avoir des décisions de protection justifiées de la part de Washington et de Bruxelles sur l’acier. Ou des décisions exagérées entraînant des réactions en chaîne d’autant plus importantes qu’un monde interconnecté est aussi un monde interdépendant. On assiste déjà en tout cas à une contraction du commerce mondial, qui croît moins vite que la croissance.

Ensuite, les sanctions sont un autre mode de démondialisation. Une sanction, c’est mettre un pays hors monde, le faire sortir du monde connecté interdépendant. On punit. L’Iran, la Russie ; hier, l’Afrique du Sud. Il s’agit d’une démondialisation imposée, circonscrite et moralisante. Attention, les sanctions rendent les sociétés plus intelligentes. Voyez l’exemple des Iraniens qui ont créé leur propre Internet.

Ce ne sont pas les seuls…

Internet produit à son tour des frontières. Ainsi la Chine est, avec Baidu, hors Google. Et dans la plupart des pays arabes, en Russie ou en Corée du Nord, les contenus d’Internet sont contrôlés. Prenez par ailleurs les espaces géographiques où les câbles de fibres optiques arrivent – Alexandrie, Marseille, la Bretagne, l’Irlande, l’est des États-Unis, Singapour –, tous ces lieux sont fragiles et espionnés. Une rupture peut survenir.  

 

Michel Foucher, géographe

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO et LAURENT GREILSAMER

 

 

Texte 3 : LES ECHOS | LE 22/06/2011 http://www.lesechos.fr/22/06/2011/LesEchos/20958-084-ECH_les-paradoxes-de-la-demondialisation.htm#2dXCm434vT74OMSI.99

LES PARADOXES DE LA DÉMONDIALISATION

Jean-Marc Vittori / éditorialiste aux « Echos »

 

Le mot est à la mode. Il est brandi en étendard par un candidat à la primaire socialiste, niché dans des écrits de penseurs de droite, en couverture d'un mensuel très à gauche et au coeur du programme du Front national, approuvé dans les sondages... Les gouvernements veulent l'appliquer aux hommes, en réécrivant les accords de Schengen pour limiter leur liberté de circulation, et aux idées, en filtrant Internet. Démondialisation ! Cette expression nouvelle qui recouvre un vieux concept provoque un tel engouement qu'elle mérite un examen attentif.

 

D'abord, qu'est-ce que la démondialisation ? Comme son étymologie l'indique, c'est l'action de ne plus rendre mondial, de faire redevenir national ou local. Qu'est-ce qui doit redevenir local ? Comme nous parlons économie, il s'agit de la production et de ses « facteurs » qui jouent à saute-mouton avec les frontières : marchandises, hommes, capitaux et idées. Ce qui débouche sur un premier paradoxe. Le mot a été forgé il y a un peu moins d'une décennie par Walden Bello, un sociologue philippin formé aux Etats-Unis très cité en France (sa bio sur Wikipédia est plus longue en français qu'en anglais), autrement dit... par un symbole de la mondialisation qui entend la dénoncer ! Nombre de militants de la démondialisation des marchandises et des capitaux sont d'ailleurs d'ardents défenseurs de la liberté de circulation des hommes et des idées. Seule l'extrême droite va jusqu'au bout de la logique, prônant un repli généralisé sur le pays.

 

Pourquoi faudrait-il une démondialisation ? En centrant le propos désormais sur les marchandises, la réponse est simple : l'emploi mal payé des pays pauvres tue l'emploi mieux payé des pays riches. L'ouverture des pays longtemps plongés dans la glace communiste, Chine en tête, a fait débouler des centaines de millions d'hommes et de femmes prêts à travailler pour trois fois rien. C'est un vieil argument, que l'on trouvait déjà dans le livre « Le Péril jaune » paru en... 1901. Ici vient le deuxième paradoxe : la plupart de ceux qui prônent la démondialisation des marchandises le font au nom de la solidarité. Mais la solidarité devrait au contraire nous amener à aller plus loin encore dans l'ouverture. Soyons ici pragmatiques, en laissant de côté les économistes incapables de donner un message clair sur la question. Tous les pays qui ont émergé ces dernières décennies ont fait jouer le levier de la mondialisation, de la Corée du Sud au Brésil en passant par la Chine. Aucun de ceux qui sont restés submergés par la pauvreté n'a su ou pu le faire. Et dans les pays émergents, même si les inégalités explosent, le pouvoir d'achat d'une large partie de la population augmente. Jamais 600 millions de Chinois n'auraient pu s'acheter un téléphone mobile du temps de Mao. La solidarité, c'est l'ouverture des frontières. Sauf à limiter son champ à l'intérieur des frontières - ce que seul le Front national, à nouveau, ose faire ouvertement.

 

Comment, ensuite, mettre en oeuvre cette démondialisation ? La réponse, à nouveau, est simple : le gouvernement doit installer des « écluses " à l'entrée du pays ou plutôt de l'Union européenne. Le mot qui revient à droite comme à gauche est plus joli que les anciennes barrières douanières, tout comme la logique réciprocité sonne mieux que le rébarbatif protectionnisme. La contradiction, ici, ressort magnifiquement dans le livre du PS Arnaud Montebourg : il faut « obliger le consommateur à acheter plus cher pour soutenir le pouvoir d'achat ". Chacun sait pourtant que c'est la baisse des prix qui augmente le pouvoir d'achat ! Pour être juste, Arnaud Montebourg précise qu'il s'agit du pouvoir d'achat des salariés producteurs. Mais si le but est d'organiser un transfert de ressources entre salariés et inactifs (retraités, chômeurs...), il y a d'autres moyens plus efficaces que les écluses, comme la TVA sociale. Et moins coûteux.

 

Car c'est l'angle mort des militants de la démondialisation : ce retour en arrière coûterait très, très cher. D'abord parce que les pays visés réagiraient à leur tour. La Chine pourrait par exemple décider de ne plus acheter à Airbus, à Areva et à PSA. Ensuite parce que les chaînes de production sont désormais éclatées aux quatre coins du monde. Selon les calculs de l'OCDE, les exportations françaises sont composées pour plus du quart de produits auparavant importés. Dans ces conditions, la pose des écluses relèverait d'une incroyable mécanique de précision pour faire le tri, sauf à tout taxer et à provoquer une énorme flambée des prix. On ne fabrique par exemple plus de téléviseurs en Europe. Enfin, les entreprises soumises à une concurrence moins forte seraient moins efficaces.

 

Et pourtant... la démondialisation est promise à un bel avenir. Quand il faut envoyer un e-mail en Inde pour faire baisser la climatisation dans une salle de réunion londonienne d'une grande banque anglaise, on est allé trop loin dans la mondialisation, pour reprendre l'expression de Valéry Giscard d'Estaing. Ce retour vers le national et le local ne doit pas passer par des écluses gouvernementales, mais par des décisions d'entreprise, prises pour au moins trois raisons. Primo, les chaînes de production de plus en plus longues sont aussi de plus en plus fragiles, comme l'ont montré des événements récents aussi différents que le tsunami japonais, les explosions de Fukushima, le printemps arabe, l'éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull, l'épidémie de grippe A (H1N1) ou la faillite de la banque Lehman Brothers. Secundo, les écarts de salaire se réduisent. Au rythme actuel, les pays émergents auront bientôt perdu l'atout des bas salaires, selon les calculs de Patrick Artus, l'économiste en chef de la banque Natixis. Tertio, les coûts du transport vont fatalement augmenter avec l'inéluctable hausse des coûts de l'énergie. Les gouvernements pourraient aussi finir par prendre des mesures pour protéger l'environnement, comme un bannissement du fret aérien. Effet massif garanti ! Le retour au local, oui. Mais au nom de l'efficacité et de la solidarité mondiale.

 

Jean-Marc Vittori est éditorialiste aux « Echos »


 

Texte 4 : le 1 n°136 04 janvier 2017

LA DÉMONDIALISATION DE LA PRODUCTION DES BIENS A COMMENCÉ TANDIS QUE LA MONDIALISATION NUMÉRIQUE ET FINANCIÈRE S’INTENSIFIE

Patrick Artus, économiste

Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, il est aussi directeur de la recherche et des études de la banque d’investissement Natixis. Membre du Cercle des économistes, il a coécrit de nombreux ouvrages avec Marie-Paule Virard, notamment Globalisation, le pire est à venir (La Découverte, 2008) et La Folie des banques centrales (Fayard, 2016).

 

Nous allons développer la thèse suivante : à la démondialisation de la production des biens s’opposent la mondialisation des services, en particulier des services numériques, et la mondialisation financière. Cette nouvelle mondialisation est probablement aussi menaçante que la mondialisation des biens : à la place de la délocalisation de la production industrielle, il y a délocalisation du contrôle des données, du contrôle capitalistique des entreprises, et déplacement de montants considérables de capitaux.Mais revenons en arrière un instant.

 

Depuis le milieu des années 1990, on a assisté à la mondialisation, ou globalisation, de la production des biens. Elle a pris la forme de ce qu’on a appelé la « segmentation des chaînes de valeur » : les entreprises découpent leurs processus de production en segments, les pièces étant fabriquées dans des lieux différents en fonction des coûts de production et des avantages comparatifs – qualification de la population active, disponibilité des matières premières, etc. – des différents pays.

Cette évolution explique les délocalisations industrielles, le transfert des capitaux de production de biens vers les pays émergents, en particulier la Chine, et la croissance très rapide du commerce mondial, puisqu’il faut ensuite assembler les biens dont les productions sont dispersées : du milieu des années 1990 à 2010, le commerce mondial a augmenté deux fois plus vite que le produit intérieur brut mondial.

 

Mais tout change après la crise financière de 2008-2009. Sur la période récente, la faiblesse du commerce mondial, qui stagne complètement depuis 2015, révèle la « désegmentation des processus de production » – une évolution inverse de celle des vingt dernières années. Au lieu de fragmenter la production des biens dans différents pays, les entreprises produisent de plus en plus au voisinage de l’acheteur final, pour différentes raisons. Il y a tout d’abord la hausse des coûts de production dans les pays émergents qui décourage les délocalisations. Depuis la fin des années 1990, le coût salarial par unité produite a augmenté en moyenne de 8 % par an dans les pays émergents et en Chine, alors qu’il n’a progressé que de 2 % par an dans les 35 pays de l’OCDE. Produire en Chine est aujourd’hui, si on inclut tous les coûts annexes, plus cher que produire dans certains pays de l’OCDE, comme l’Espagne par exemple. Ceci explique que la part globale des produits assemblés en Chine est passée de 65 % en 1998 à 30 % en 2016.

On constate ensuite que les pays producteurs sont de plus en plus exigeants. Si une entreprise veut vendre des biens dans un pays, elle devra y réaliser une partie importante de la valeur ajoutée de ces biens, d’où l’implantation toujours plus grande des usines, des sous-traitants, auprès de l’acheteur final des biens.

 

En conséquence, on peut légitimement parler de démondialisation des biens puisque leur production se rapproche des acheteurs finaux et que la circulation des pièces, des composants, entre les différents continents, recule. Cette démondialisation des biens ne fait pas disparaître les multinationales : au lieu d’avoir par exemple dix usines fabriquant chacune le dixième de chaque bien, une multinationale aura dix usines fabriquant l’intégralité du bien dans dix pays différents. (...)

 

Mais à la démondialisation des biens s’oppose aujourd’hui la mondialisation des services, en particulier les services numériques. On a vu apparaître depuis dix ans des leaders mondiaux des services numériques : les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, Alibaba, etc. Ces entreprises ont connu une croissance extraordinaire. En 2006, Google réalisait 11 milliards de dollars de chiffre d’affaires ; en 2016, 71. Pour Amazon, les chiffres sont 11 et 134 milliards de dollars ; pour Apple, 19 et 25 milliards de dollars ; Facebook et Alibaba passent de moins de 1 milliard de dollars à respectivement 26 et 19 milliards de dollars.

Ces entreprises distribuent des services, livrent des biens et collectent des données sur toute la planète. La collecte de données est un sujet particulièrement sensible. Chaque achat, chaque ménage, chaque consultation d’un site Internet est archivé ; les profils des utilisateurs sont contrôlés, leurs goûts sont connus, ce qui permet ensuite d’orienter de manière ciblée les offres, la publicité.

Ces entreprises de l’Internet bénéficient de la situation de « coût marginal nul » : une fois l’investissement initial réalisé, le coût d’un client supplémentaire est nul. Ceci implique qu’il ne peut, dans chaque secteur, y avoir qu’une seule entreprise dominante qui prend tout le marché. Il se constitue donc des monopoles mondiaux « naturels » dans les services numériques, contre lesquels les entreprises les plus petites ne peuvent pas lutter, et on constate que ces monopoles sont américains – ou chinois, mais seulement parce que le marché chinois est protégé. L’absence de l’Europe dans le secteur des grands services numériques pourrait donc être irréversible en raison de cette configuration de coût marginal nul.

 

On observe enfin que, si la mondialisation des biens recule, la mondialisation financière s’accroît aussi à une vitesse impressionnante. Ceci se voit d’abord à l’augmentation des flux de capitaux entre les régions. Au début des années 2000, les flux de capitaux qui rentraient ou qui sortaient des pays émergents représentaient environ 100 milliards de dollars en rythme annuel ; aujourd’hui, c’est plus de 1 200 milliards de dollars.

Cette très forte augmentation des flux de capitaux internationaux découle de la déréglementation financière avec la disparition des contrôles des capitaux dans la plupart des pays, (...)

La mondialisation financière prend aussi la forme d’un accroissement des acquisitions d’entreprises par les entreprises et les fonds d’investissement chinois, pour des montants considérables – 500 milliards de dollars environ par an. De plus en plus d’entreprises passent ainsi sous contrôle chinois, en particulier en Europe, ce qui commence à poser un problème de souveraineté – l’Allemagne a mis récemment son veto à certaines acquisitions dans le domaine de la robotique.

 

Le processus de démondialisation/mondialisation est donc complexe. Nous avons vu qu’il y a, dans la période récente, démondialisation des biens, mondialisation croissante des services numériques et des marchés financiers. Cette évolution asymétrique de la mondialisation n’est pas nécessairement une bonne nouvelle : à la délocalisation de l’industrie, qui a fait reculer d’un tiers l’emploi manufacturier en vingt ans dans les pays de l’OCDE, succèdent la délocalisation des données et la délocalisation du contrôle des entreprises. Selon les pays, de 40 à 60 % du capital des entreprises cotées appartient à des non-résidents, et, en l’absence de politique claire dans ce domaine, cette proportion va fortement augmenter. L’Europe peut-elle accepter de ne contrôler ni ses données ni le capital de ses entreprises ? 

 

Patrick Artus, économiste

 

Texte 5 : Le monde.fr, 14 11 2016 http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/14/le-fantasme-de-la-demondialisation_5030849_3232.html

LE FANTASME DE LA « DÉMONDIALISATION »

Editorial du « Monde ». 

Sommes-nous au début d’une phase de « démondialisation » économique ? L’expression est à la mode. Donald Trump est devenu le 45e président des Etats-Unis en dénonçant les effets de la globalisation. En juin, le Brexit l’a emporté grâce aux votes des régions de Grande-Bretagne dévastées par une désindustrialisation en partie imputable aux délocalisations d’entreprises.

Partout en Europe, les partis protectionnistes de l’extrême droite protestataire, à commencer par le Front national (FN), interprètent le succès du républicain Trump comme le signe annonciateur de la fin de la mondialisation. On va pouvoir en revenir au beau vieux temps ! Du fait d’une période de faible croissance, le commerce mondial est d’ailleurs en régression significative. C’est un signe, jurent les « antimondialisation ».

 

Rien ne serait plus simpliste que de présenter les choses de cette façon. M. Trump a exploité une réalité que l’on connaît depuis vingt ans, aux Etats-Unis et en Europe. La mondialisation – désarmement douanier et libération des mouvements de capitaux – a réduit les inégalités entre le Nord et le Sud. Principalement en Asie, mais ailleurs aussi, elle a sorti des centaines de millions de malheureux d’une abjecte pauvreté. Dans le même temps, au fil des délocalisations, notamment en Chine, devenue l’atelier du monde, elle a ravagé bien des territoires européens et américains – la plupart du temps dans l’indifférence des Etats concernés.

Mais voilà, la mondialisation n’est pas seule en cause. La révolution technologique est au moins autant, sinon plus, responsable du démantèlement des vieux bassins d’emploi. C’est elle qui porte la délocalisation du travail, bien plus que l’idéologie. Les grandes chaînes de production industrielle sont aujourd’hui fragmentées, installées sur plusieurs pays. Les flux de données parcourant le monde à chaque instant, par la grâce du numérique, annoncent une poussée de la globalisation des services. On ne reviendra pas sur cette évolution. Elle continuera très largement.

 

Une illusion

L’impact de l’élection de Trump et du Brexit conduira sans doute les Etats du Nord a négocier plus durement avec le Sud, à se battre plus âprement pour des conditions de concurrence plus égales. M. Trump remettra probablement dans les tiroirs du département du commerce les deux grands traités de libéralisation commerciale – l’un avec l’Asie, l’autre avec l’Europe – envisagés par Barack Obama. Dans certains métiers, un mouvement de relocalisation déjà amorcé pourrait prendre de l’essor.

Mais cette illusion vendue par les tribuns protestataires, comme Donald Trump, d’un retour au passé – « je vais rapatrier l’emploi » – relève du mensonge. La levée de tarifs douaniers prohibitifs sur les importations chinoises ou mexicaines aux Etats-Unis susciterait une guerre commerciale qui se traduirait par la perte de dizaines de millions d’emplois en Amérique. Il en irait de même au sein de l’Union européenne.

 

En Europe, les pays les plus favorables à la mondialisation sont ceux qui ont adapté l’Etat-providence aux pathologies qu’elle génère : en gros, l’Europe du Nord. Et les plus « anti-» sont ceux qui n’ont pas agi ainsi. Mieux vaut y réfléchir plutôt que se payer de mots et parier sur une « démondialisation » dont les effets pourraient être ravageurs.

 

 

Texte 6 : Les Echos, JEAN-MARC VITTORI / Editorialiste, 19 09 2016

L'ÈRE DE LA DÉMONDIALISATION

Depuis la crise financière, les échanges mondiaux ne cessent de décevoir. Ils progressent maintenant moins vite que l'activité. Une rupture profonde qui vient à la fois de la Chine et de la stratégie des grandes entreprises.

 

Dans le puzzle de la langueur économique planétaire, voici une pièce essentielle : l'anémie des échanges. Avant la crise financière de 2008, les exportations mondiales progressaient deux fois plus vite que la production. Souvenez-vous, le globe devenait un village... Mais ce rapetissement de la planète, amorcé après la Seconde Guerre mondiale et accéléré à partir des années 1980, est désormais révolu. Depuis cinq ans, le volume des exportations mondiales avance au même rythme que l'activité. Ces derniers temps, il a même été moins vite, contrairement à ce que prédisent avec constance les experts de l'Organisation mondiale du commerce. Le retournement commence à faire des dégâts. Pour la première fois depuis trente ans, un géant du fret maritime a fait faillite - le chinois Hanjin. C'est un signe de plus d'une rupture majeure. La démondialisation a commencé. Pourquoi ?

 

Au plus fort de la crise financière, les échanges mondiaux s'étaient effondrés de 12 % en 2009. Mais cette chute n'était guère surprenante. Quand tout le monde panique, quand les entreprises ne pensent plus qu'à accumuler du cash, l'export et son financement sont les premiers sacrifiés. Quand la tempête souffle, on se réfugie sous son toit. Comme lors du krach de 1929, avant même que les mesures protectionnistes comme la loi Hawley-Smoot votée en 1930 ne fassent sentir leur morsure. Lors de la Grande Dépression, la fermeture des frontières commerciales décidée par tous les pays avait ensuite plongé les échanges dans une spirale dépressive, entraînant les économies dans le gouffre. Les gouvernants actuels en ont tiré la leçon. Ils ont préservé l'ouverture des frontières, même s'ils ont édifié beaucoup de murets ici et là. La démondialisation n'est pas une décision politique. Elle vient des entrailles de l'économie. Beaucoup d'économistes ont voulu y voir un mouvement cyclique et donc temporaire. Selon eux, c'est la demande trop molle qui entraîne un commerce trop mou. L'asthénie de l'Europe, qui réalise en son sein le tiers des échanges mondiaux, expliquerait une bonne part de l'inflexion. Le ralentissement mondial des investissements, qui se traduisent souvent par des commandes de machines fabriquées en Allemagne ou au Japon, y aurait aussi contribué. Une fois les séquelles de la crise disparues, tout repartira comme avant. Mais les experts qui ont tenté d'évaluer l'impact de ces facteurs conjoncturels en conviennent : ils expliquent au plus la moitié du changement. Et, à y regarder de plus près, le freinage des exportations a commencé avant la crise financière. Il faut donc aller chercher plus loin les causes du mouvement. 

 

A vrai dire, inutile de creuser beaucoup : l'inversion de la courbe de la mondialisation s'explique d'abord par le renversement en cours dans le plus grand pays du monde. Avec sa croissance échevelée depuis les années 1980, la Chine avait joué un rôle central dans l'intensification du trafic mondial. A la fois du côté de l'offre, en devenant l'« usine du monde » avec des centaines de millions de salariés payés une misère, et du côté de la demande, en achetant massivement les matières premières pour alimenter ses usines et ses chantiers. Mais l'ex-empire du Milieu a entamé son grand virage depuis une décennie. Il veut compter sur sa demande intérieure et non plus sur l'export, qui a tiré ses « Trente Glorieuses ». Il bascule aussi des activités agricoles et industrielles vers les services, moins gourmands en importations. Il achète enfin moins d'équipements pour ses usines. Au fond, ce qu'on a appelé « mondialisation » ces deux dernières décennies était surtout le fruit de l'émergence brutale du pays le plus peuplé au monde sur la scène économique mondiale. Aucune autre nation n'aura un tel impact à l'avenir. L'Inde est déjà très orientée sur son marché domestique et l'Afrique restera morcelée. L'irruption de la Chine a amplifié un autre mouvement de fond, venu des entreprises. C'est l'éclatement des chaînes de production, qui a aussi stimulé la mondialisation avant de se calmer. Depuis les années 1990, les géants mondiaux ont réorganisé leurs activités en fabriquant chaque composant de leurs produits là où c'est le moins cher. Mettant à profit non seulement l'émergence de nouveaux producteurs en Chine et dans les pays à l'est de l'Europe, mais aussi les nouvelles facilités offertes par Internet et donc le transfert de masses énormes d'informations instantanément et quasi gratuitement. 

 

Cet éclatement, qui a provoqué une explosion des échanges intra-industriels, s'épuise lui aussi. D'abord parce que les salaires se sont rapprochés. Même entre la Chine et les Etats-Unis ! Ensuite, les pays sont de plus en plus exigeants sur le contenu local de leurs achats - Alstom l'a expérimenté pour ses ventes de trains, y compris aux Etats-Unis. Les entreprises ont aussi découvert que les chaînes étirées sont fragiles. Un seul fabricant qui s'arrête quelque part pour cause d'incendie, de grève ou de tremblement de terre et c'est parfois des dizaines d'usines qu'il faut stopper un peu partout dans le monde. Enfin, les technologies de l'information déployées dans l'industrie vont de plus en plus rentabiliser des séries plus petites et plus proches des lieux de vente. 

 

La mondialisation a encore des ressorts. Les PME pourraient entrer beaucoup plus vigoureusement dans le jeu en mobilisant toute la palette des outils numérique, de la vente par Internet aux nouveaux moyens de paiement. Et, selon les consultants de McKinsey, les flux mondiaux d'information ont été multipliés par quarante-cinq en une décennie. Mais la mondialisation du tournant du millénaire, avec ses tonnes d'acier, ses salaires infimes et sa frénésie de transport, est désormais un morceau d'histoire. 

 

Jean-Marc Vittori
 
 
Texte 7 : Le Monde, novembre 2016

LA FIN DE LA  " MONDIALISATION HEUREUSE " ?

Chronique journal Le Monde  11 Novembre. Auteure  : Françoise Fressoz, journaliste au Monde

 

Quatre mois après le Brexit, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis met le focus sur les victimes de la mondialisation qui, après avoir courbé l’échine et souffert en silence, ont décidé de se rebiffer au point de provoquer une insurrection dans les urnes. Brusquement, le peuple est de retour et cela crée une onde de choc considérable en Europe et dans le monde entier.

 

Au nom du peuple, les relations entre Etats se tendent. Des traités sont remis en cause, ici on promet une inflation de droits de douane, là des murs qui ne verront peut-être jamais le jour, mais créent une ambiance propice à la confrontation. C’est la fin du mythe de la mondialisation heureuse et la quête heurtée d’un nouveau système dont nul ne peut assurer qu’il sera un succès. L’Europe, qui s’était construite sur le libre-échange, en sort tétanisée.

C’est l’heure du chacun pour soi et du sauve-qui-peut. La crise des subprimes de 2008 explique pour partie la rébellion des classes moyennes et populaires qui secoue la Grande-Bretagne comme les Etats-Unis. Dans ces deux pays, les inégalités ont continué de se creuser, alors même que les séquelles des faillites en cascade n’étaient pas jugulées, faisant brusquement douter de la validité du modèle.

 

Mais en France, où les amortisseurs sociaux sont pourtant puissants et les inégalités beaucoup moins criantes, le malaise est tout aussi perceptible, et il ne date pas d’hier. Depuis le référendum sur le traité de Maastricht signé en 1992, on parle de deux France qui ne cessent de prendre le large, parce que l’une profite à plein de la mondialisation, tandis que l’autre souffre des délocalisations, de la désindustrialisation et de la disparition des services publics qui va avec.

Contre  » les élites et le système  »

 

Le score du Front national est un puissant indicateur de l’écart qui se creuse. En liant la question identitaire et le malaise social, Marine Le Pen est parvenue à réaliser des scores importants dans l’électorat populaire (ouvriers et employés), privant la gauche et la droite d’une bonne partie de leur réservoir électoral. A présent que Trump a gagné, elle se sent pousser des ailes, et les autres tremblent. Nicolas Sarkozy avait été le premier à réagir, en 2007, en faisant campagne sur le triple thème du travail, du pouvoir d’achat et de l’identité, mais son échec cinq ans plus tard bride la tentative de reconquête du  » peuple « , qu’il mène actuellement dans le cadre de la primaire, en prenant violemment pour cible  » les élites et le système « , à la manière de Donald Trump et de Marine Le Pen.

 

Alain Juppé a choisi une stratégie inverse. Lui n’entend pas séduire le peuple mais construire, par-delà le clivage gauche-droite, la coalition électorale qui lui permettra de conduire sans trop de casse les quatre ou cinq réformes qu’il juge essentielles pour retrouver la croissance. Il a besoin pour cela d’un maximum d’apaisement, et pourfend  » la démagogie qui dresse les Français les uns contre les autres, le peuple contre les élites « .

La gauche voit, elle, se rouvrir le dangereux clivage qui l’avait déchirée en 2005, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen : les eurosceptiques, tels Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg, deviennent de plus en plus virulents à l’égard de la construction européenne et de plus en plus protectionnistes, tandis que, dans le courant majoritaire, Manuel Valls compose avec l’air du temps en revendiquant  » le besoin de frontières et la régulation de l’immigration « . Pour tous ceux qui communiaient dans la mondialisation, c’est la douche froide : le peuple, décidément, n’en veut pas.

 

Françoise Fressoz

 

III. EVALUATION : 

A l'aide des travaux de groupes et de vos connaissances :

1.  Définissez ce qu'est la mondialisation et présentez quelles en ont été les conséquences positives et négatives.

2. Pourquoi parle-t-on aujourd'hui d'une "démondialisation" ?

3. La volonté de "démondialiser" vous semble-t-elle justifiée ? Construisez un paragraphe argumenté présentant votre point de vue personnel.

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